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Decibels Storm

Si une première écoute rapide suivie d'une écoute non attentive, puis d'une troisième écoute, attentive cette fois-ci, ne m'avaient absolument pas fait froncer un seul sourcil, il n'était pas concevable que je n'insiste pas encore plus afin de percevoir l'essence-même de cet album. C'est donc chose faite, et je suis vraiment content de ne pas être passé à côté.

Lord Shades est à l'origine la création d'Alex ; mais un one-man-band n'étant pas chose simple, la complémentarité de plusieurs esprits créateurs ne peut être (et l'a d'ailleurs été) que bénéfique pour le processus de construction des morceaux. C'est ainsi que le one-man-band est devenu un groupe.

D'une naissance en 2001 et avec seulement deux démos, voici 7 ans plus tard que Lord Shades présente son premier album : « The downfall of Fire-Enmek ». On peut se demander ce que faisait le groupe pendant tout ce temps ; qu'importe, je pense que ce temps, ils l'ont passé à travailler et travailler encore afin de présenter non pas un produit finalisé car nous ne sommes pas à l'usine, mais un objet unique, artisanal, façonné à la main après des heures concentrées sur le détail. Nous serions ici plutôt dans l'atelier d'un artisan qui, avec ses outils, a façonné cette musique à l'image qu'il avait en tête pour en faire un objet à offrir à celui qui le comprendra.

Vraisemblablement, Lord Shades n'est pas du genre à composer des morceaux à la va-vite. Le temps est important mais il est au service de la qualité de la musique. Et il en va de même pour toutes leurs productions... Je ne connais pas les titres des deux premières démos, mais celles-ci avaient également 7 ou 8 titres, comme cet album, et tous ont duré environ 50 minutes. Il n'en fallait sans doute pas moins pour réaliser en musique une oeuvre complète basée sur un concept lui-même inspiré de la littérature fantastique et épique.

Effectivement, « The downfall of Fire-Enmek » est un concept-album qui traite d'un homme, Lord Shades, qui après sa mort, vit son être scindé en deux. Son corps fut l'objet d'une invasion par le seigneur de la terre maudite, de la terre des hommes. Alors, ce très court résumé est bien évidemment très succint, c'est beaucoup plus compliqué et l'histoire regorge d'idées telles que Tolkien et Lovecraft auraient pu écrire. Les noms, l'histoire sont très intéressants et recherchés. C'est pour cela que je n'en dirai pas plus, non pas par paresse mais pour vous laisser découvrir leur site internet plus que complet, vraiment fantastique dans sa présentation où l'on découvre le concept dans son intégralité ainsi que la traduction des paroles pour la compréhension des non-anglophones.

Du côté du packaging et de l'artwork, c'est encore un très bon point qui vient s'ajouter. Si le « back cover » est un peu plus classique, j'ai beaucoup apprécié la cover, dont le jaune en devient étincelant et ressort vraiment bien sur les flyers ou autres supports. Par contre, voici une remarque que je ne peux m'empêcher de formuler : c'est que, certainement pour des raisons pratiques afin de ne pas avoir un booklet épais comme un annuaire, ils ont mis les paroles dans une police tellement petite que la lecture en devient difficile. De plus, l'option du blanc sur le fond sombre n'arrange pas les choses.

C'est avec une introduction digne d'une bande originale de film médiévalo-fantastique que commence l'album... Il s'agit là de préparer l'auditeur à entrer dans un univers entièrement inventé de toutes pièces. Ce penchant pour la narration accompagnée d'une musique de fond ou samples se retrouvera plusieurs fois au cours de l'album afin de faire prendre vie à des métaphores toutes aussi fantasmagoriques les unes que les autres. J'ai eu l'impression de revenir quelques années en arrière à l'écoute de cette intro, lorsque j'écoutais les deux premiers albums de Pazuzu mais surtout « Awaken the dragon ». Je soulève juste le fait que le narrateur, qui a pourtant une très bonne prononciation anglaise sur laquelle je n'ai rien à redire, n'ai pu se débarrasser entièrement de son léger accent français.

C'est vrai que l'étiquette black/death atmosphérique est celle qui pourrait le mieux se rapprocher de la musique de Lord Shades. Mais sur des titres qui pour la plupart ont une durée qui dépasse largement les 5 minutes pour certains et approchent les dix minutes pour d'autres, il est difficile d'aborder l'album simplement.

Les guitares sont évidemment, dans leur majeure partie, rapides, très black metal ; les riffs cinglants et effrénés apportent le côté sombre et malsain, accompagnés par une batterie qui suit le rythme lorsque l'agressivité et la rage doivent sortir.

L'avantage des longues durées des chansons, c'est qu'on n'est pas dans une construction couplet-refrain-pont... Sur un titre comme « Despair, hope and wrath », l'évolution de la chanson suit l'évolution des paroles. A tout ceci vient donc se greffer des grands coups de cymbales, de gongs accentuant le côté médieval. Les nappes de claviers s'enchaînent également lors des ralentissements, nécessaires au bon déroulement de l'histoire. On serait quasiment dans du black symphonique; la frontière est si près.

C'est en ce sens que le côté atmosphérique intervient; on a droit, en plusieurs endroits, à des passages hyper planants.

La construction des morceaux me laisse encore pantois; j'ai mis très longtemps avant de pouvoir m'adapter à la musique de Lord Shades. La voix se module au gré des atmosphères et des influences extrêmes des chansons. « Embers of hate »ou même « Encounters » en sont un bel exemple. La première débute avec une facette très death metal autant à la batterie qu'aux guitares sur des claviers orchestraux, et la voix prend une teinte tantôt très gutturale grave ou tantôt vilement black, même doublée en plusieurs endroits. La seconde donne également dans le death metal mais la voix de Sabrina vient radoucir la cadence sur une ligne vocale très euphonique.

Mais encore, si la démonstration de style de Lord Shades s'arrêtait là !!! Mais non, comme je le disais, l'utilisation de samples mêlés aux claviers procure vraiment une sensation de bande originale de film et c'est bien cela qui offre à cet album le pouvoir de créer l'illusion qu'on est virtuellement dans leur monde. J'en reviens encore à ces samples de tonnerre, ces grands coups de gongs et cymbales, ces choeurs ou encore la flûte, l'accordéon et le didjeridoo (qui sont des instruments peu utilisés dans le metal)... Toutes ces petites choses, ces petits détails, font la qualité de la musique de Lord Shades. C'est d'ailleurs « Heading North » qui restera ma préférée sur l'album. Le passage à l'accordéon, instrument que l'on pourrait penser ringard au possible, apporte une mélancolie grandiose au morceau. Cette chanson est définitivement la perle de l'album par la voix, les rythmiques épiques et médiévales,l'ambiance...C'est une invitation au voyage fantastique. La transition avec un commencement au didjeridoo sur « Revel in blood » a été formidablement trouvée.

L'album se termine par « The last sand » qui nous offre un solo à mi-chanson tellement « spleenant » que c'est exactement ce qu'il manquait pour clôturer l'album en beauté. Je l'avoue, j'ai eu beaucoup d'appréhension au départ comme je vous l'ai dit au début de cette chronique, mais à chaque écoute, j'ai apprécié un peu plus cet album et, si au début je ne l'avais pas compris, je pense que maintenant « The downfall of Fire-Enmek » a pris tout son sens. Ne vous laissez donc pas impressionner par la difficulté d'approche de l'album, vous manqueriez sincèrement une pierre indispensable à l'édifice du metal français. Essayez de bien vous plonger dans l'écoute et vous verrez que si l'ennui était votre impression première, cela passera vite pour laisser place à la considération... Arzhu